Au Congo, le difficile passage à l’après-pétrole
Après la crise consécutive au contre-choc pétrolier de 2014-2016, le Congo a retrouvé le chemin de la croissance. Une conjoncture favorable qui ne saurait éluder la nécessité de poursuivre la diversification de l’économie, plus que jamais indispensable.
Les 10 et 11 juillet derniers à Pointe-Noire, c’est tout le gratin de l’industrie pétrolière congolaise qui s’est retrouvé à l’occasion d’une rencontre organisée par le groupe franco-britannique Perenco et présidée par le ministre congolais des Hydrocarbures, Jean-Marc Thystère-Tchicaya. Au cœur des discussions de cette réunion d’initiés, l’estimation de la fourchette des prix du brut pour le deuxième trimestre de l’année, établie finalement à 68,5 dollars par baril, avec un différentiel de 0,3 dollar/baril. Des chiffres vus par le ministre comme « globalement positifs malgré les incertitudes du marché » et qui traduisent bien la reprise d’activité actuelle de la filière au Congo. De fait, après l’entrée en exploitation des très productifs gisements du champ de Moho-Nord (plus de 200 000 barils/jour contre 100 000 attendus initialement), c’est deux nouveaux contrats de partage de production (CPP) qui ont été signés depuis le début de l’année ; le premier, en mars, avec l’Américain Kosmos Energy pour le permis d’exploration offshore du bloc Marine XXI1 et le second, en juin, avec le Nigérian Pelfaco pour le champ pétrolier offshore de Sounda.
1 À 3 000 mètres de profondeur, le bloc Marine XXI est le plus profond de tous les gisements offshore du Congo.
Reprise d’activité
Résultat, la production journalière du pays, qui était tombée à moins de 232 000 barils/jour en 2016, pourrait dépasser les 380 000 barils/jour d’ici la fin de cette année, selon la Direction générale des hydrocarbures. Bien mieux que le précédent pic de 316 000 barils/jour, atteint en 2010. Des négociations sont par ailleurs en cours avec le français Total pour la conclusion de quatre autres CPP (Marine XX, Nsoko, Nanga et Mokélé-Mbembé). Quant à l’onshore, longtemps délaissé, son exploration s’est sensiblement renforcée au cours des dernières années, notamment dans le bassin de la Cuvette congolaise, où la découverte controversée d’un important gisement (dénommé « Delta de la Cuvette ») a été annoncée en août par deux compagnies pétrolières locales, SARPD-Oil (Société africaine de recherche pétrolière et de distribution) et PEPA (Petroleum Exploration & Production Africa). De quoi compenser l’arrivée à maturité d’autres champs pétroliers et plus encore, susciter l’intérêt de nouveaux opérateurs privés. À l’image du Sud-Africain Divine Inspiration Group, des Chinois Wing Wah et China National Offshore Oil Corporation, du Norvégien Coastal Energy et des Russes Gazprom et Lukoil, les groupes étrangers sont de plus en plus nombreux à vouloir (de nouveau) se positionner dans cette zone d’Afrique centrale.
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Volatilité
Cette embellie conjoncturelle ne saurait pourtant faire oublier la nature hautement volatile des revenus tirés de l’extraction d’hydrocarbures, ceux-ci représentant bon an mal an plus de la moitié du PIB congolais et 90 % de ses recettes d’exportation. C’est bien là le problème : la trop grande dépendance du Congo à l’égard d’une activité aussi cyclothymique.
Ainsi, entre 2015 et 2017, au pus fort du contre-choc pétrolier, la chute des cours a provoqué une baisse des revenus de plus de 1 400 milliards de francs CFA (2,35 milliards de dollars), entraînant des coupes drastiques dans le budget de l’État et une précarisation accrue des populations. La Banque mondiale relève ainsi que si la part des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté a baissé de 51 % à 41 % entre 2005 et 2011, le taux d’extrême pauvreté semble, lui, avoir augmenté à partir de 2016 en raison notamment de la baisse des cours du pétrole. Davantage, « les politiques minières et pétrolières basées sur l’exportation vers les pays industrialisés, sans grande transformation, ne favorisent pas les effets structurants avec le reste de l’économie », rappelle la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), dans un rapport d’évaluation consacré au Congo2.
2« Le contexte de la Répubique du Congo en vue de la mise en œuvre du projet 1415 P », Inès Féviliyé,mars 2017
Diversifier
Afin de diversifier ses sources de revenus et créer les conditions d’une croissance durable et inclusive, le gouvernement congolais a adopté en juillet 2018 un Plan national de développement (PND) courant sur la période 2018-2022, qui vise notamment à stimuler des « grappes d’activités » hors pétrole : agriculture, forêts, mines, bâtiment, tourisme, services financiers… Dans le domaine agricole, le Congo dispose ainsi de vastes étendues de terres arables non cultivées qui représentent environ un tiers de sa superficie (342 000 km2). Le pays possède en outre d’abondantes ressources minières (fer, cuivre, or, potasse, uranium…), encore peu exploitées.
Reste, une fois le diagnostic posé, à appliquer le traitement prescrit. À l’aune de cet objectif, quel bilan tirer de l’action de l’État congolais, à deux ans et demi de l’arrivée à échéance du PND 2018-2022 ? La dynamique de changement a incontestablement été impulsée, le plus tangible concernant le développement des infrastructures, clé de voûte de l’activité économique : accroissement de la production d’électricité, extension du réseau routier, modernisation du port de Pointe-Noire… La cession d’anciennes sociétés publiques (Régie nationale des palmeraies du Congo, Sangha Palm…) et l’octroi de vastes concessions de terres à des investisseurs privés (Olam, Eco-Oil Énergie…) ont par ailleurs permis le renforcement de certaines filières, telles que le cacao et le palmier à huile.
Difficultés
Autant de développements positifs qui ne sont cependant pas (encore) suffisamment significatifs pour faire réellement la différence. Ainsi, en dépit des efforts de diversification lancés par les autorités congolaises, l’agriculture ne représente toujours qu’une part négligeable du PIB (11 %), tandis que le reste du secteur privé non pétrolier continue de souffrir d’une activité erratique, les filières du bâtiment, des transports et des télécommunications ayant en particulier enregistré une baisse de 5,5 % de leur contribution au revenu national en 2018, selon la Banque mondiale. Les équipes de la CNUCED, dans le rapport précité, constatent pour leur part que « l’activité du secteur privé hors pétrole se heurte encore à un déficit d’infrastructures, un climat des affaires difficile et un système financier manquant de profondeur ». Des difficultés dans l’exécution aggravées par la situation financière précaire du Congo : avec une dette publique équivalente à 88 % du PIB en 2018 et une surveillance forte de la part des institutions financières internationales sur ce sujet, le pays dispose de très peu de marge de manœuvre pour faire beaucoup plus que présentement…
La nécessité d’accélérer la cadence du changement apparaît pourtant plus pressante que jamais : après un pic atteint mi-septembre, suite à l’attaque contre les infrastructures pétrolières saoudiennes, les cours du pétrole ont de nouveau repris le chemin de la baisse. Ils ont depuis cédé 15 %…
Le Congo, un pays pétro-dépendant
Troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne (350 000 barils/jour), loin derrière le Nigeria et l’Angola, la République du Congo a bâti son économie autour de l’or noir, qui contribue à près de 80 % du budget national. Cette production est assurée par quelques grandes entreprises internationales, notamment l’Italien ENI, l’Américain Chevron et surtout le Français Total, qui domine le secteur.
Membre depuis juin 2018 de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le Congo dispose de deux bassins productifs. Le bassin côtier, dans le Sud, très largement offshore et opéré depuis les années 1960, et le bassin de la Cuvette, au Nord, onshore et peu exploité jusqu’à récemment. Parmi ces gisements, le plus important est le champ pétrolier Moho Nord, en mer profonde, à près de 75 km au large de Pointe-Noire, avec une capacité de 200 000 barils par jour. Exploité par Total, ce projet couvre à lui seul 60 % de la production globale congolaise.