Cacao : ce qu’il faut retenir du dernier rapport de la Banque mondiale sur l’économie ivoirienne (Partie 1 - Diagnostic)
Publié le 11 juillet dernier, le neuvième rapport de la Banque mondiale sur la situation économique en Côte d’Ivoire, intitulé « Au Pays du cacao – Comment transformer la Côte d’Ivoire », consacre toute sa seconde partie à cette filière stratégique et propose des pistes pour que celle-ci puisse transformer le pays durablement, de façon plus inclusive et respectueuse de l’environnement. Synthèse.
Source : « Au Pays du cacao – Comment transformer la Côte d’Ivoire », Banque mondiale, juillet 2019 / Neuvième édition)
Avec une production nationale ayant quasiment quadruplé entre 1980 et 2018 (de 550 000 tonnes à 2 millions de tonnes), la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial d’« or brun » (près de 40 % de la production globale). Le cacao compte pour environ 14 % du PIB, contribue à plus du tiers des recettes d’exportation et finance 10 % des recettes de l’État. Son exploitation occupe plus d’un million de petits producteurs et constitue une source de revenus directs et indirects pour 5 à 6 millions de personnes, soit le cinquième de la population du pays.
La gestion de ce secteur hautement stratégique se caractérise par un encadrement étatique étroit, mais aussi par la large place accordée au secteur privé, tant pour la commercialisation intérieure que pour la mise sur le marché international.
Malgré l’impact indéniable de la réforme de 2011 sur la gestion de la filière, le cacao ivoirien présente aujourd’hui un bilan mitigé. En effet, en dépit du formidable essor productif observé, l’or brun (1) n’a pour l’instant pas amélioré significativement les conditions de vie des producteurs et communautés rurales dont la plupart vivent toujours en dessous du seuil de pauvreté ; (2) a contribué à une destruction massive du couvert forestier, car les paysans ont étendu leurs plantations plutôt que d’augmenter leur productivité ; (3) n’a pas permis au pays de capter une part significative des gains générés le long de la filière cacao-chocolat au niveau global.
Les planteurs toujours dans la précarité
Selon la dernière enquête des ménages réalisée par le gouvernement en 2014/2015, 54,9 % des cacaoculteurs vivraient en dessous du seuil de pauvreté national (757 FCFA/jour). À moins de diversifier ses activités, la seule solution dont dispose le producteur pour augmenter ses revenus consiste à vendre plus de cacao et/ou le vendre plus cher, ou diminuer ses coûts de production.
Le prix au producteur (bord-champ) dépend du prix international. Les conditions de ces dernières décennies ont été défavorables aux planteurs, car (1) le prix du cacao sur le marché mondial a suivi une tendance baissière en valeur réelle (en euros) depuis le début des années 1960, le prix réel ayant baissé de moitié entre 1960 et 2016 ; (2) les fréquentes fluctuations des cours ne leur ont pas permis d’anticiper correctement leurs gains d’une année sur l’autre ni de planifier leurs investissements ; (3) ils n’ont reçu qu’une part plutôt faible du prix mondial, à cause de la forte taxation à laquelle ils sont soumis (taxes à l’exportation et autres prélèvements). Bien que cette part ait légèrement augmenté depuis la réforme de 2011, passant de moins de 50 % à 60 %, elle reste comparativement basse par rapport à d’autres pays producteurs comme le Ghana (70 %), le Cameroun (85 %), le Brésil, le Nigeria ou l’Indonésie (90 %).
Le prix bord champ est déterminé comme la différence entre le prix mondial CAF moyen (environ 1250 FCFA/kilo) et les marges (fixées par des barèmes autour de 225 FCFA/kilo) des opérateurs privés assurant la commercialisation intérieure (pisteurs, traitants, coopératives, exportateurs, transitaires, assureurs…) ainsi que les taxes prélevées par l’État, y compris les prélèvements parafiscaux opérés par le CCC pour assurer des services à la filière et financer ses propres coûts d’opération (environ 22 % du prix CAF, ou 275 FCFA par kilo).
Divers facteurs (mauvais état des pistes et difficultés d’accès aux sites de collecte, multiples contrôles et barrages « non-officiels », faible structuration du secteur, part relativement faible de la production commercialisée par les coopératives…) entraînent un surcoût au niveau de la commercialisation intérieure, mais la cause principale du différentiel entre le prix bord-champ et le prix à l’exportation du cacao est la lourde fiscalité imposée par l’État (22 % en tenant compte de la parafiscalité en 2019), qui se traduit par une taxation d’environ 40 % du chiffre d’affaires du planteur, et probablement plus de 50 % sur ses bénéfices, ce qui fait de l’« entreprise cacao » l’activité la plus taxée de Côte d’Ivoire.
Une faible productivité compensée par l’extension des cultures
Le rendement moyen du verger ivoirien sur les 20 dernières années (autour de 450-550 kg/hectare) traduit une expansion quantitative (extension massive des surfaces cultivées) et non qualitative (amélioration des rendements grâce à de jeunes plantations et de bonnes pratiques culturales). Cette approche extensive — stratégie rationnelle du paysan pour augmenter ses revenus et accroître son capital foncier —, favorisée par une politique permissive de l’État quant à l’occupation des sols, a entraîné une déforestation sans précédent au cours des 40 dernières années, avec des taux de dégradation (tous domaines forestiers confondus) de l’ordre de 4,32 %/an entre 1990 et 2000, et 2,69 %/an entre 2000 et 2015. En un demi-siècle, les 234 forêts classées du pays ont ainsi perdu plus de 70 % de leur couvert forestier, tandis que les 8 parcs nationaux et réserves en ont perdu en moyenne 30 %. Aujourd’hui, l’intensification s’impose comme unique alternative face à l’épuisement de la rente forestière induit par le mode extensif.
La faible part de la Côte d’Ivoire dans la valeur ajoutée globale de la filière
Alors que la Côte d’Ivoire représente 40 % de la production mondiale, le pays ne perçoit que 5 à 7 % des gains générés globalement par la filière. En 2017, 5 multinationales (Barry Callebaut, Cargill, Olam, Blommer Chocolate, Guan Chong) se partageaient plus de 75 % des broyages, et 7 compagnies (Mars, Mondelez, Nestlé, Ferrero, Meiji, Hershey, Lindt) contrôlaient 75 % du marché mondial du chocolat industriel et autres produits finis à base de cacao.
En 2015, la Côte d’Ivoire a supplanté la Hollande en devenant le premier broyeur mondial de cacao (le pays dispose d’une capacité installée de 750 000 tonnes, utilisée seulement à 75 % : dans les faits, seul un tiers de la production est transformé). Cependant la marge bénéficiaire au niveau de la première transformation reste faible, comparée à celles de la deuxième transformation (plus du tiers de la valeur ajoutée globale) et surtout de la production et distribution de produits finis (plus des deux cinquièmes de la valeur ajoutée globale). Le développement d’une industrie locale de deuxième transformation et de distribution s’impose donc comme une condition sine qua non pour optimiser au mieux les formidables potentialités de la filière en matière de création d’emplois et de richesse inclusive.