Cacao : ce qu’il faut retenir du dernier rapport de la Banque mondiale sur l’économie ivoirienne (Partie 2 - Mutations)
Dans le sillage de la publication du dernier rapport de la Banque mondiale sur la situation économique ivoirienne (« Au Pays du cacao – Comment transformer la Côte d’Ivoire »), Ressources vous propose une synthèse détaillée des conclusions de cette étude, à travers une série de trois articles consacrés (Diagnostic / Mutations / Orientations). Dans cette seconde partie, retour sur les mutations du marché mondial du cacao, analysées par l’institution financière internationale.
Source : « Au Pays du cacao – Comment transformer la Côte d’Ivoire », Banque mondiale, juillet 2019 / Neuvième édition.
Si elle veut bien négocier son « tournant cacaoyer », la Côte d’Ivoire doit impérativement tenir compte des forces de changement à l’œuvre dans le marché global du cacao (évolution de la demande mondiale, restructuration de l’offre), et de contraintes endogènes de plus en plus pressantes (tendances démographiques et foncières, impact du changement climatique sur la production nationale).
Une demande mondiale en pleine évolution.
Cette évolution, plus qualitative que quantitative (entre 1 et 3 % par an en fonction de la croissance économique mondiale, sachant que le marché est déjà saturé dans les pays industrialisés, où la consommation se stabilise autour de 5 à 12 kg/hab/an), se caractérise par un glissement progressif vers les marchés asiatiques et une exigence accrue des consommateurs en matière de goûts (hausse de la demande pour les chocolats haut de gamme, à base de cacao « fine flavor », ou valorisant un produit, une origine et/ou un savoir-faire) et de durabilité.
Le déplacement de la demande vers des pays émergents au très fort potentiel de croissance (Chine et Inde en tête, avec des consommations respectives de 60 et 35 g/hab/an) risque de remettre en cause les circuits traditionnels de transformation (rapprochement de la transformation vers les nouveaux centres de consommation). L’Inde a par exemple enregistré une croissance de 12 % de ses volumes de chocolat consommés en 2017 et dans la foulée, certains transformateurs ont annoncé leur intention d’investir dans le sous-continent.
Vers une consommation de plus en plus responsable
Les nouvelles exigences des consommateurs répondent à une prise de conscience écologique et sociale globale. Ceux-ci sont aujourd’hui prêts à payer le prix pour s’assurer que le chocolat qu’ils achètent est produit dans de bonnes conditions de durabilité environnementale (agriculture responsable excluant la déforestation et l’utilisation d’intrants chimiques néfastes) et sociale (lutte contre le travail des enfants en plantations). Les pays producteurs et l’ensemble des opérateurs intervenant sur la chaîne de valeur du cacao se sont donc engagés à ne plus produire et/ou commercialiser de cacao « non durable », et pour cela à mettre en place des systèmes crédibles de certification et de traçabilité, avec des résultats cependant encore mitigés. Les États-Unis, l’Allemagne et la Hollande, notamment, visent une certification de 100 % de leur consommation domestique à l’horizon 2025 (avec un objectif de 80 % en 2020). Pour les pays producteurs qui ne satisferaient pas à ces préoccupations, manifestes depuis le début des années 2000, il en va, à terme, de l’accès aux principaux pays consommateurs.
Une restructuration de l’offre mondiale
Si la prépondérance de l’Afrique de l’Ouest ne semble pas menacée à court terme (selon l’ICCO, la production du continent devrait augmenter de 5 % d’ici 2020), la forte dépendance du marché vis-à-vis d’un nombre réduit de pays soumis à divers aléas (climatiques, politiques, etc.) difficilement maîtrisables inquiète les acheteurs et les pousse à rechercher d’autres sources d’approvisionnement, comme l’Amérique latine. L’ICCO prévoit que la production de cette région devrait atteindre 850 000 tonnes vers 2020, avec l’Équateur produisant plus de 300 000 tonnes.
Des évolutions foncières et démographiques déterminantes en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, le mode de développement extensif de la cacaoculture s’est traduit par une véritable « course à la terre » et la création d’un très grand nombre de petites exploitations (en moyenne 5 hectares), actuellement estimées à plus d’un million. Ce développement extensif se heurte aujourd’hui à une double contrainte : l’épuisement des terres disponibles et celui de la « rente forestière » (actuellement moins de 3 millions d’hectares de forêts contre… 12 millions en 1960).
Afin d’assurer la relève d’une main-d’œuvre vieillissante (45 ans d’âge moyen pour les cacaoculteurs contre 35 ans pour les autres producteurs agricoles) et pallier le manque d’attractivité de cette culture (faible rentabilité, pénibilité du travail, difficulté de la vie en milieu rural) qui favorise l’exode rural de la jeunesse, le secteur devra certainement se restructurer en optant pour un modèle d’exploitations plus grandes, gérées comme des entreprises capables d’offrir à leurs propriétaires un niveau de revenu décent à travers une mécanisation accrue. Cette transition cacaoyère fondée sur de grandes plantations à base de travail salarié et l’adoption de technologies agricoles de pointe s’observe déjà en Amérique latine. En Côte d’Ivoire, il y a encore peu d’exploitations de ce type, mais elles pourraient s’y développer. Ainsi, Solea, une filiale de KKO International SA, est en train de mettre sur pied une plantation de cacaoyers de 3 000 hectares dans le centre-est du pays (plantations irriguées à haute densité, avec un objectif de rendement de 2 tonnes/hectare).
La menace du changement climatique
Au déclin du stock de capital naturel du pays, s’ajoute désormais l’impact du changement climatique, déjà perceptible et appelé à s’intensifier si rien n’est mis en œuvre pour l’atténuer. À moyen terme, l’augmentation des températures diminuera l’humidité et réduira la fertilité des sols, et d’ici 2050, les zones propices à la cacaoculture devraient considérablement se restreindre. Le changement climatique nécessite d’ores et déjà l’adoption de mesures idoines et de technologies appropriées (agroforesterie, développement de l’irrigation, variétés tolérantes à la sécheresse…). Le déplacement graduel des plantations vers des zones qui devraient rester ou devenir plus favorables à moyen et long terme s’annonce difficile, car il risque d’engendrer des conflits fonciers. Il s’avère cependant nécessaire, notamment dans une optique de remplacement des plantations vieillissantes et/ou touchées par le swollen shoot1.
1 Le swollen shoot est un virus du cacao, dont un des symptômes visibles est le gonflement de ses pousses.
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Lire la partie 3