COVID-19: Le recul des envois de fonds par les migrants met en danger les familles rurales
Dans cette tribune, Pedro de Vasconcelos, Coordonnateur au Fonds international de développement agricole (FIDA) du mécanisme de financement pour les envois de fonds, revient sur les conséquences mondiales du brusque recul des envois de fonds des migrants- et sur les leviers d’action possibles- dans le sillage de la crise économique née de la pandémie du coronavirus. Une chute qui impacte en premier lieu les proches bénéficiaires restés sur place et vivant en milieu rural. Rien qu’en Afrique, quinze pays bénéficieraient de transferts d’argent de leur diaspora représentant plus 5% de leur PIB, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’impact économique de la pandémie COVID-19 a entraîné la perte de millions d’emplois dans les pays développés et en développement. Les travailleurs migrants sont parmi les plus directement touchés. Ils travaillent dans des secteurs économiques touchés par le ralentissement économique, tels que la construction, l’hôtellerie, le tourisme, l’alimentation, l’agroalimentaire, les transports et le travail domestique. Cette perte de revenus a des répercussions dans le monde entier, mettant en danger des millions de familles rurales pauvres. La majorité des travailleurs migrants sont originaires de pays à faible et moyen revenu et doivent subvenir aux besoins de leur famille grâce aux envois de fonds qu’ils effectuent régulièrement dans leur pays d’origine. On estime ainsi que 200 millions de travailleurs migrants dans le monde envoient régulièrement de l’argent à 800 millions de membres de leur famille restés au pays. En d’autres termes, une personne sur neuf dans le monde est directement concernée par ces envois de fonds.
En 2019, les envois de fonds vers les pays à faible et moyen revenu s’élevaient à 554 milliards de dollars, la moitié environ atteignant des familles vivant dans des petites villes et des villages ruraux. Toutefois, à la suite de COVID-19, ces flux devraient connaître la plus forte baisse de leur histoire, avec une chute attendue de 20 % en 2020, pour atteindre 445 milliards de dollars, comme l’indique une prévision récente de la Banque mondiale. Bien que dans le passé les envois de fonds aient été relativement résistants aux chocs externes, la pandémie du COVID-19 est différente, car elle affecte simultanément les expéditeurs et les destinataires. Les familles vivant dans les zones rurales des pays en développement ont été gravement touchées par l’enfermement et l’éloignement social. Les marchés ont été fermés et les transports ont été perturbés. Les petits agriculteurs n’ont pas pu vendre leurs produits ou acheter des intrants, tels que des semences ou des engrais. Les travailleurs journaliers, les petites entreprises et les travailleurs informels, qui sont souvent des femmes et des jeunes, sont parmi les plus touchés.
Le Fonds international de développement agricole (FIDA) des Nations unies suit l’impact de la diminution des envois de fonds sur les bénéficiaires dans les pays en développement, où les envois de fonds de 200 à 300 dollars par mois représentent en moyenne 60 % du revenu des ménages. Si la réduction des envois de fonds ne sera pas uniforme d’un pays et d’une communauté à l’autre, l’impact sera probablement important dans les zones rurales où les envois de fonds comptent le plus. De fait, les premières indications des pays qui dépendent fortement des envois de fonds sont très préoccupantes. Des rapports allant du Sénégal, du Kenya, du Salvador et du Népal aux Philippines et à l’Europe de l’Est confirment non seulement la baisse significative des envois de fonds, mais aussi le retour au pays de centaines de milliers de travailleurs migrants sans emploi dans leurs foyers et leurs communautés en zone rurale.
La réduction soudaine ou l’arrêt pur et simple des envois de fonds pourrait également avoir des répercussions sur la production alimentaire dans les mois à venir, la saison des semis commençant dans différentes régions. Au Mali, par exemple, de nombreuses familles des zones rurales ne peuvent souvent pas acheter de semences et d’intrants pour la prochaine saison agricole sans transferts de fonds réguliers.
Les familles qui envoient des fonds et la sécurité alimentaire : Possibilités d’action efficace
Les conséquences économiques de la pandémie COVID-19 pourraient plonger encore plus profondément les familles rurales dans la pauvreté et menacer la prospérité et la stabilité mondiales. Nous devons agir maintenant pour minimiser l’impact de la baisse des envois de fonds sur la sécurité alimentaire des familles rurales. Si nous prenons des mesures immédiates, nous pouvons donner aux populations rurales les moyens d’assurer une reprise plus rapide. Plusieurs possibilités « gagnant-gagnant » se présentent :
- Accélérer les solutions commerciales innovantes qui soutiennent les familles qui envoient des fonds en temps de crise, en favorisant la réduction des frais et en développant des produits permettant aux travailleurs migrants de transférer directement à leurs familles des produits non financiers par l’intermédiaire de prestataires de services de transfert de fonds, tels que de la nourriture ou des médicaments.
- Identifier et soutenir les opportunités de génération de revenus pour le « capital humain » des travailleurs de retour. Les migrants ramènent chez eux leur expérience, leur éducation et leurs nouvelles compétences. Les migrants prennent des risques, sont résistants et ont l’esprit d’entreprise. Cette crise exige des moyens créatifs d’utiliser leurs talents dans le cadre de la réponse apportée au pays.
- Encourager l’inclusion financière des familles qui envoient des fonds en favorisant la création et l’adoption de produits d’épargne d’urgence.
- Promouvoir l’utilisation des canaux numériques pour l’envoi et la réception des transferts de fonds, et diffuser des informations sur les produits de transfert de fonds disponibles et les moyens de les obtenir. En élargissant l’accès des zones rurales à la technologie numérique, les transferts de fonds pourraient soutenir la transformation des zones rurales, ce qui permettrait de créer de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités. La réception numérique des transferts de fonds pourrait permettre aux habitants des zones rurales d’accéder à des produits d’épargne, de crédit ou d’assurance, ce qui peut renforcer la résilience des familles et profiter aux communautés qui les entourent.
Pour relever un certain nombre de défis auxquels sont confrontées les communautés rurales, le FIDA dirige actuellement l’équipe spéciale communautaire sur les envois de fonds, parrainée par les Nations unies, un groupe de 35 parties prenantes de différents secteurs, qui publiera bientôt une série de recommandations complètes et intégrées : Un plan d’action.
Les actions concrètes spécifiques décrites dans le plan directeur amélioreront les cadres juridiques et réglementaires, faciliteront les solutions du secteur privé et intégreront la participation active des ONG, en particulier des groupes de la diaspora. Cela permettra aux familles qui envoient des fonds, même pendant cette crise sans précédent, de maximiser l’impact potentiel des envois de fonds sur le développement, pour elles-mêmes et pour les communautés où elles vivent, afin que les générations futures puissent considérer la migration comme un choix plutôt que comme une nécessité.
Cette tribune a été initialement publiée sur le site du FIDA. Lire ici l’article original.