L’Afrique face au défi du coronavirus
Affectée par le coronavirus, l’Afrique l’est pourtant moins que dans le reste du monde. Une relative préservation qui doit beaucoup au profil démographique du continent mais qui se traduira néanmoins par une sévère récession économique. Notamment dans les pays exportateurs de matières premières. Décryptage.
Partie de Chine début décembre 2019, l’épidémie de coronavirus s’est transformée en pandémie pour s’étendre aujourd’hui à la planète entière. L’université américaine Johns Hopkins, dont le suivi du Covid-19 fait référence, estimait ainsi, au 13 mai, à 4,3 million le nombre de personnes infectées à travers le monde et à plus de 291 000 les morts. Dans ces conditions, et même en tenant des très probables défaillances dans les systèmes de détection mis en place, la faible exposition apparente de l’Afrique au coronavirus interpelle : avec 2463 décès et un peu moins de 72000 cas de contaminations confirmés par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), le continent semble (pour l’heure) relativement épargné.
Au 13 mai, nombre de cas confirmés de coronavirus en Afrique : 71845 (2463 décès)
Pour l’expliquer, nombre de médecins et scientifiques mettent en avant le profil démographique africain, « favorable » à une meilleure protection contre la maladie, plusieurs études ayant confirmé le lien de causalité existant entre les formes les plus graves de coronavirus et l’âge des patients. Or, la population du continent est la plus jeune du monde, avec un âge médian de 18 ans, selon les chiffres de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (UNECA).
En conséquence, nombre d’analystes estiment que l’Afrique dispose encore d’une fenêtre d’opportunité pour actionner à grande échelle les mesures de distanciation sociale (interdictions des rassemblements, couvre-feu, fermeture des lieux publics…) qui lui permettront de faire face efficacement à la pandémie. Mieux, certains pays du continent (Liberia, Sierra Leone, Guinée Conakry, RDC…) ont pu capitaliser sur les leçons apprises de la fièvre hémorragique d’Ebola (plus de 11 000 morts entre 2014 et 2016) pour prendre très vite les actions qui s’imposaient tandis que les populations des régions concernées ont, elles, conservé les bons réflexes (se laver les mains, se tenir à distance…).
Quant à la coordination des politiques sanitaires- pilotée par le CDC Afrique, elle a permis de mettre en place aux points sensibles que sont les frontières, des systèmes de dépistage des cas suspects, aujourd’hui déployés sur la quasi-totalité du continent. Cité début mai par le quotidien français Le Monde, le docteur Nkengasong, le directeur du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies (CDC Afrique), notait ainsi fièrement que, début février, « il n’y avait alors que deux pays- le Sénégal et l’Afrique du Sud- en mesure d’effectuer un diagnostic. Ils sont désormais 48. ».
Conséquences socio-économiques
Mais au-delà de l’impact sanitaire, la pandémie de coronavirus se traduira par d’autres conséquences, tout aussi insidieuses pour les populations africaines. Dans son rapport « Africa’s Pulse 2020 », publié le 9 avril, la Banque mondiale avertit ainsi que l’Afrique subsaharienne se dirige tout droit vers la récession, « du jamais vu depuis vingt-cinq ans », selon Albert Zeufack, son économiste en chef pour la région Afrique. Une contraction de l’activité économique qui viendra en premier lieu d’Afrique du Sud, d’Angola et du Nigeria, trois des principaux pays africains exportateurs de matières premières. Arrêt partiel ou total des activités extractives (mines. hydrocarbures..), capacités de stockage arrivées à saturation, investissements reportés… Depuis le déclenchement de la crise causée par le coronavirus et l’effondrement concomitant de l’activité économique mondiale, les pays africains exportateurs de ressources primaires font face à une dépression sans précédent. Pourvoyeur économique de premier ordre dans bien des pays du continent, le pétrole a vu ainsi son cours être divisé par plus de deux depuis le début de l’année, son prix oscillant désormais entre 25 et 30 dollars. 5 ans plus tôt, il était encore au-delà des 100 dollars.
Résultat, au Nigeria, au Congo, au Tchad, en Angola, en Algérie ou au Gabon, pays très dépendants de cette manne, les prévisions budgétaires bâties sur des prix à 50 ou 60 dollars le baril ont été réajustés en urgence à la baisse, avec la casse sociale que cela implique (dépenses sociales rognées, précarisation des populations…). Première puissance économique du continent et premier producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, le Nigeria a d’ores et déjà annoncé qu’il aurait besoin d’emprunter 7 milliards de dollars pour faire face à la crise. Un appel à l’aide financier qui alourdira mécaniquement le poids de la dette du pays et ce « précisément au moment où il doit dépenser pour arrêter la propagation du coronavirus et apporter un soutien aux personnes vulnérables », rappellent les analystes du think tank britannique Chatham House. Quant à l’Union africaine (UA), elle évalue à « près de 20 millions [le nombre] d’emplois, à la fois dans les secteurs formel et informel, […] menacés de destruction sur le continent si la situation persiste ».
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Une crainte partagée par nombre d’organisations, à l’image d’Oxfam. Dans un rapport intitulé « Le prix de la dignité », rendu public le 9 avril, l’ONG affirme qu’« entre 6 et 8 % de la population mondiale pourrait basculer dans la pauvreté », soit un demi- milliard de personnes, ce qui « pourrait constituer à l’échelle mondiale un recul de dix ans dans la lutte contre la pauvreté, et un recul de trente ans dans certaines régions comme en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord », concluent les auteurs de l’étude. C’est là tout le cruel dilemme de la crise du coronavirus en Afrique : au moment où les États du continent ordonnent l’arrêt de pans entiers de leur économie afin de freiner la propagation du Covid-19 et en l’absence de filets de protection sociale, il faut choisir entre mourir de faim ou de maladie.