Méthane du lac Kivu : ce qu’il faut savoir sur cette source d’énergie immergée
Les paysages majestueux du lac Kivu, à la frontière entre le Rwanda et la RDC, feraient presque oublier que la quiétude de cette région du globe n’est qu’apparente : enfouie dans les profondeurs du lac se trouve une forte concentration de méthane dissous, un gaz mortel et imprévisible que les autorités rwandaises cherchent aujourd’hui à transformer en énergie. Revue de détail des principaux points à retenir.
À cheval entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, à une altitude de 1 460 m au-dessus du niveau de la mer, le lac Kivu est l’un des dix Grands Lacs d’Afrique, aux côtés des principaux que sont le Victoria et le Tanganyika. Sa particularité réside cependant ailleurs : avec ceux de Nyos et de Monoun au Cameroun, le Kivu est l’un des rares lacs au monde considérés comme méromictiques, c’est-à-dire renfermant de très fortes concentrations de gaz (dioxyde de carbone et méthane notamment), produits par l’activité volcanique de la région et la décomposition des matières organiques. Résultat : les 2 700 km2 de cette étendue d’eau – dont la profondeur approche les 500 mètres par endroits – contiendraient selon les estimations quelque 60 milliards de mètres cubes de méthane dissous et environ 300 milliards de mètres cubes de dioxyde de carbone, qui s’y sont accumulés au fil du temps.
Une bombe en puissance…
Une telle concentration de gaz est néanmoins problématique, car elle pourrait potentiellement servir de détonateur à une éruption limnique, caractérisée par le dégazage brutal du lac qui relargue alors les couches de gaz amassées durant des années. En pareilles circonstances, les conséquences humaines peuvent s’avérer terribles. En 1986, le gaz libéré par le lac Nyos, au Cameroun, avait ainsi tué par asphyxie plus de 1 700 personnes, dans un périmètre de 25 kilomètres. Deux ans auparavant, toujours au Cameroun, un phénomène semblable, survenu aux abords du lac Monoun, s’était soldé par 37 décès. Or, le Kivu contient… mille fois plus de gaz que le Nyos, tout en se situant dans une région très fortement densifiée, où vivent plus de deux millions de personnes. Et comme la concentration du gaz augmente au fil des ans, la possibilité d’une éruption limnique s’accroît, mécaniquement. Cité par l’hebdomadaire Jeune Afrique, Martin Schmid, chercheur à l’Institut suisse de recherche sur l’eau et les milieux aquatiques (Eawag), ne dit pas autre chose lorsqu’il explique que « (…) si on laisse les gaz s’accumuler pendant une longue période, il faudra s’attendre à un moment à une éruption catastrophique de gaz ». Et comme si cela ne suffisait pas, la proximité du volcan Nyiragongo, l’un des plus actifs d’Afrique, renforce encore la plausibilité d’un tel scénario, une éruption volcanique pouvant bouleverser la stratification du lac et, partant, entraîner une remontée du gaz.
Un potentiel énergétique certain
Néanmoins, cette concentration menaçante de méthane est aussi, paradoxalement, une chance. Les développements techniques réalisés au cours des dernières années rendent en effet aujourd’hui possible l’exploitation commerciale du gaz du lac Kivu. Selon certaines estimations, celui-ci pourrait ainsi produire jusqu’à 700 mégawatts d’électricité, soit près de quatre fois ce dont dispose actuellement le Rwanda (environ 250 mégawatts). De quoi susciter l’intérêt de certains opérateurs privés : le pays des Mille collines compte déjà deux sociétés – les Américains Symbion Power et ContourGlobal – qui extraient du gaz du lac Kivu pour alimenter des centrales électriques. La première initiative, lancée en 2009 au large de la ville rwandaise de Rubavu, est un projet-pilote dénommé Kibuye Power 1 d’une capacité de production de 3,6 mégawatts. « Concrètement, la plateforme flottante, située à trois kilomètres de la rive, pompe le gaz dans les profondeurs et l’envoie ensuite par un gazoduc sur la terre ferme, où trois générateurs produisent de l’électricité », explique Éric Nsabimana, le responsable opérationnel de l’installation qui indique par ailleurs « qu’extraire le méthane permet de stabiliser le lac ».
En somme, l’exploitation du gaz permet de faire d’une pierre deux coups : elle fournit de l’électricité tout en réduisant les risques de dégazage intempestif. Le second projet, KivuWatt, lancé en 2016, est quant à lui d’une tout autre ampleur puisqu’il génère actuellement 26 mégawatts, destinés au réseau local. Une capacité qui devrait à terme atteindre les 100 mégawatts, distribués dans l’ensemble du pays. Une vraie manne pour le Rwanda, qui ambitionne un taux d’accès à l’électricité de 100 % de sa population d’ici 2024, contre 51 % aujourd’hui, selon le ministère rwandais des Infrastructures.
Schéma du mécanisme d’extraction du gaz méthane
Une rentabilité à démontrer
Seul bémol, la rentabilité des projets reste encore incertaine, l’extraction ne s’effectuant pour l’instant qu’à petite échelle. Contactée, une source travaillant dans le département financier de l’une des deux sociétés précitées confirme sous couvert d’anonymat que « pour l’heure l’entreprise ne gagne pas d’argent sur l’unité d’exploitation de gaz méthane ». Une situation qui, selon notre interlocuteur, « ne devrait pas durer », le temps « d’améliorer les processus d’extraction et d’augmenter les cadences de production ». Une chose est sûre : le pari de l’exploitation du gaz méthane dans la région du Kivu continue d’attirer les investisseurs. En février, les autorités rwandaises ont validé la signature d’un contrat avec un nouvel opérateur privé, la compagnie GasMeth Energy, pour la production de gaz en bouteille à partir du méthane contenu dans le lac Kivu. Montant du marché : 400 millions de dollars. Il semble bien que les potentialités du lac Kivu n’aient pas fini de faire parler d’elles…