Moulay Omar Zahraoui, PDG du fabricant de cigares Habanos : « Nous sommes aujourd’hui leader du cigare premium en Afrique »

Porté par la croissance économique des dernières années et son lot de classes moyennes émergentes, le cigare rencontre un succès croissant en Afrique. Une conjoncture favorable sur laquelle cherchent aujourd’hui à capitaliser une poignée de marques du continent. Parmi elles, le marocain Habanos, qui dispose d’une unité de fabrication de cigares à Casablanca. Pour Ressources, le PDG de la société, Moulay Omar Zahraoui, revient sur cette aventure entrepreneuriale et explicite ses ambitions. Entretien.
Ressources : Habanos a fait le pari de se spécialiser sur le marché du cigare, un segment de niche dans la filière du tabac. Pourquoi avoir fait ce choix spécifique ?

Moulay Omar Zahraoui : Il y a assurément une part d’héritage familial dans ce projet entrepreneurial. Mon père fumait le cigare et j’ai donc très tôt baigné dans un univers où cet art de vivre était pleinement intégré au quotidien. Par la suite, je me suis formé et ai travaillé dans l’industrie du tabac, notamment en Allemagne et en Corée du Sud. Une démarche initiatique qui a finalement abouti à la création de la société Habanos, en décembre 2011. De fait, la période se prêtait bien au démarrage de l’entreprise : le secteur du tabac marocain venait tout juste d’être libéralisé et il y avait là une opportunité historique pour se lancer. J’ai obtenu la licence de fabrication et de distribution de tabac et très rapidement, ai commencé à investir. Sur ce dernier point, je dois du reste beaucoup à mes appuis familiaux.

Ressources : un mot sur la matière première utilisée, le tabac. D’où provient le vôtre ?

Moulay Omar Zahraoui : Pour sécuriser notre amont, nous faisons cultiver notre tabac par 550 tabaculteurs de la région d’Ouazzane (nord-ouest du Maroc, dans le Rif Occidental), qui occupent une superficie totale de 120 hectares. Au total, la valeur du stock de tabac que nous possédons se chiffre à 28 millions d’euros. Mais au-delà de la matière première, il a surtout fallu développer le savoir-faire associé à la fabrication des cigares, une activité qui requiert une vraie expertise. Habanos étant la première entreprise marocaine sur ce segment, nous avons fait venir des spécialistes du Honduras et de République Dominicaine pour former nos équipes locales. Un travail de longue haleine- ils sont présents au Maroc depuis 2014- et qui est la condition sine qua none pour obtenir une production d’excellence. Contrairement à certains de nos concurrents, qui utilisent un ersatz de parfum de tabac, nos cigares sont uniquement à base d’arôme de tabac pur, avec des constituants1 100 % naturels.

1 Chaque cigare est composé de trois éléments, la tripe (« wrapper »)- qui est le cœur du cigare-, la sous-cape (« binder »)- constituée de feuilles de tabac intercalaires qui enveloppent la tripe et la cape (« filler »), qui est la dernière feuille qui enrobe le cigare.

Ressources : le cigare est souvent associé à l’univers du luxe. Le profil de votre clientèle correspond-il à cette image ?

Moulay Omar Zahraoui : Oui, le cigare reste un produit premium, avec un prix en adéquation avec cette recherche de qualité (les cigares Habanos se vendent entre 40 et 500 dollars la pièce). Il est donc évident que nos produits s’adressent en premier lieu à une clientèle exigeante et avertie, issue le plus souvent de milieux favorisés. La tendance est néanmoins à la démocratisation. Pour accompagner ce mouvement, nous avons conclu une série d’accords avec 24,000 buralistes au Maroc, qui peuvent ainsi potentiellement distribuer nos produits. Et au-delà de notre marché domestique, nous sommes aujourd’hui en négociation avec des distributeurs d’autres pays, en Afrique et ailleurs, et auxquels nous offrons des facilités de paiement allant jusqu’à un millions de dollars.

Moulay Omar Zahraoui inspectant un champ de tabac.
Ressources : Parlons justement de l’Afrique. Outre Habanos, il y a désormais un certain nombre de sociétés du continent positionnées sur le segment du cigare. Cette tendance récente répond- elle à une vraie demande africaine ou est-elle plutôt tournée à l’international ?

Moulay Omar Zahraoui : La demande africaine est bien là. Elle correspond aujourd’hui à 20 % du chiffre d’affaires de notre entreprise et progresse rapidement, dans le sillage de la croissance  économique, qui a élargi la base des consommateurs susceptibles de s’offrir les produits que nous proposons. Je suis pour ma part convaincu que le marché africain du cigare n’en est encore qu’à ses balbutiements ; il faudrait juste développer de nouveaux canaux de communication, à destination d’un plus large public. C’est dans cette optique que nous avons organisé le premier salon du cigare au Maroc, en décembre 2019. Une nouvelle édition est d’ailleurs prévue cette année à Casablanca, du 18 au 20 décembre prochain.

Ressources : Un dernier mot enfin sur vos perspectives. Comment envisagez-vous l’avenir ?  

Moulay Omar Zahraoui : Nous sommes aujourd’hui leader du cigare premium en Afrique ; une visibilité sur laquelle nous comptons bâtir des partenariats avec des distributeurs pour établir des têtes de pont partout sur le continent, et au-delà, dans le reste du monde. Nous avons d’ores et déjà des discussions constructives avec de potentiels partenaires aux Etats-Unis. Sur un marché traditionnellement associé aux productions latino-américaines (Cuba, République Dominicaine, Nicaragua…), nous offrons à la fois de la nouveauté et de la qualité. Une combinaison rare qui est en définitive une belle carte à jouer pour s’imposer sur ce marché en forte croissance.

Le cigare, une vieille histoire et un bel avenir annoncé
Symbole d’épicurisme, le cigare est intimement associé à la découverte du tabac par les conquistadores en Amérique. Les chroniques signalent ainsi qu’Hernández de Boncalo, un chroniqueur et historien espagnol, aurait été le premier individu à importer, en 1559, des graines de tabac en Europe, sur demande du Roi d’Espagne Philippe II. Ces graines auraient ensuite été cultivées dans les environs de Tolède, notamment dans une zone dénommée « los cigarrales », du fait qu’elle était souvent envahie par des cigales. C’est ainsi que pourrait s’expliquer l’étymologie incertaine du mot cigare.
Le cigare est depuis devenu un marché mondial, aux perspectives alléchantes. Selon le cabinet Grand View Research, le marché global du cigare pourrait atteindre 21,02 milliards de dollars en 2025 contre 16,99 milliards de dollars en 2018. Quant au segment haut de gamme, celui des cigares fabriqués à la main, il correspond aujourd’hui à 18 % des ventes et 450 millions d’unités annuelles. Des chiffres impressionnant commercialement pour les opérateurs de la filière tabac mais qui ne sauraient cependant éluder, pour les clients, les risques bien réels du tabagisme (cancers, maladies cardio-vasculaires…).