Pourquoi l’introduction en bourse de Saudi Aramco ne fera pas d’émules africains
Souhaitée par les autorités saoudiennes depuis quatre ans, l’introduction en bourse du mastodonte Saudi Aramco – premier producteur mondial d’or noir – s’est finalement effectuée. De quoi donner des idées aux États africains détenteurs d’actifs liés aux matières premières ? Rien n’est moins sûr…
Annoncée, en toute modestie, comme « la plus grande de l’histoire de l’humanité », l’introduction en bourse de la compagnie pétrolière saoudienne Saudi Aramco a battu tous les records. Avec 25,6 milliards de dollars levés, l’opération, réalisée mercredi 11 décembre à la bourse de Riyad, est le plus important appel public à l’épargne de l’histoire boursière. Mieux, cette introduction fait de l’entreprise publique arabe (356 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 111 milliards de dollars de bénéfices en 2018) la première capitalisation boursière de la planète (plus de 2 000 milliards de dollars de valorisation), très loin devant les géants américains du numérique Apple, Microsoft et Amazon, qui dominaient jusqu’alors les classements internationaux De quoi multiplier par cinq la valorisation de la bourse saoudienne (2 600 milliards de dollars) et propulser celle-ci au septième rang des places financières mondiales.
Appliqué aux latitudes africaines, ce genre d’opération – l’introduction en bourse d’une grande société pétrolière ou minière publique – aurait un effet démultiplicateur encore plus spectaculaire.
Réticences africaines
Mais encore faudrait-il que l’initiative saoudienne fasse des émules sur le continent. Or, dans les circonstances présentes, cette éventualité semble bien peu probable. Et pour cause : nombre d’États africains demeurent réticents à l’idée de réduire ou céder leurs participations dans des sociétés considérées comme stratégiques. Où sont par exemple la Gabon Oil Company, la Nigerian National Petroleum Corporation, ou la Sonatrach algérienne ? Autant de géants boursiers potentiels, qui pourraient changer du tout au tout la taille actuelle de leur marché financier domestique. La lilliputienne place boursière d’Alger (400 millions de dollars de valorisation cumulée) pourrait ainsi voir sa capitalisation multipliée par 100 (!), d’un seul coup, si l’État décidait un jour d’introduire le géant des hydrocarbures Sonatrach à sa cote. Idem pour la pétrolière Sonangol ou la minière Gécamines, présentes respectivement dans deux grands pays d’Afrique dépourvus de bourse (Angola et RDC), mais qui pourraient demain, s’ils le voulaient, occuper le devant de la scène financière continentale.
Au fond, pourquoi mettre sur le marché des « trésors nationaux » – vaches à lait de biens des régimes en place –, partager les profits et diluer le pouvoir décisionnel quand on peut lever des fonds par d’autres moyens (dette bancaire et émissions obligataires notamment) ? C’est le point de vue que semblent adopter de nombreux gouvernements africains, mais pas uniquement. Les autorités saoudiennes, sous la houlette du princier héritier Mohammed Ben Salman, n’ont pu ainsi complètement réfréner certains réflexes au moment de l’introduction en bourse de Saudi Aramco. La plupart des analystes financiers soulignent en effet qu’avec seulement 1,5 % du capital de la société mis en vente, les dirigeants du royaume wahhabite ont d’abord fait un beau coup de com sur leur volonté affichée de réformes économiques et d’ouverture tout en préservant l’essentiel, c’est-à-dire le pouvoir d’agir à leur guise. Et tant pis pour les états d’âme des investisseurs, dont certains ont d’ores et déjà exprimé leur inquiétude quant à l’opacité et la mainmise de l’actionnaire ultra-majoritaire. Nul doute que nombre de décideurs africains auraient adopté ce genre de posture. En ce sens, aussi longtemps que ces sociétés, symboles de la souveraineté nationale, seront considérées comme des chasses gardées des États, leur introduction en bourse restera rarissime.
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