TCX, le fonds qui protége les pays émergents contre le risque de change
Malmenés par la crise économique née de la pandémie du Covid-19, plusieurs pays africains ont vu leurs monnaies se déprécier au cours de l’année écoulée. Une conjoncture défavorable qui rappelle, si besoin était, que les devises du continent sont souvent vulnérables aux chocs extérieurs. Il existe pourtant des solutions, à l’image des couvertures de change proposées par le fonds de développement néerlandais TCX, un véhicule financier destiné à lutter contre la volatilité monétaire dans les pays émergents. Pour Ressources, Isabelle Lessedjina, Senior Vice Présidente à TCX, explicite le concept du fonds tout autant que ses ambitions pour l’Afrique. Entretien
Ressources Magazine : Au cœur du projet TCX, il y a la couverture du risque de change dans les pays émergents. De quoi s’agit-il au juste ?
Isabelle Lessedjina : Dans nombre de régions du monde en développement, notamment en Afrique, les entreprises ou États qui souhaitent emprunter de l’argent sur les marchés internationaux ne peuvent souvent le faire qu’en devises étrangères (dollars, euros…) et ce alors que leur source de revenus destinée à rembourser cette dette est libellée en monnaie locale. De cette différence résulte un risque de change, autrement dit une incertitude sur l’évolution du taux de change entre monnaies, qui peut vite s’avérer problématique. Dans un tel scenario, les emprunteurs en devises étrangères de ces pays peuvent très vite se retrouver fragilisés par des mouvements brusques de change. C’est précisément pour éviter ce type de situation préjudiciable que TCX existe.
Ressources Magazine : Comment est née l’idée du fonds et quand celui-ci t-il été lancé ?
Isabelle Lessedjina : Comme souvent, une solution naît d’un besoin donné. Dans le cas de TCX, le besoin était celui des institutions financières de développement (IFD), qui souhaitaient couvrir leurs engagements contre le risque de change des pays où elles opéraient. De ce possible aléa est né l’idée de lancer un fonds de couverture dédié ; une solution qui - jusqu’alors - n’existait pas. La plupart des IFD préférant ne pas réaliser elles-mêmes ce type de transactions, il fut décidé de lancer un véhicule financier ad hoc, permettant de partager ce risque de manière globale, TCX. C’est ainsi que notre fonds a été créé en 2007, à Amsterdam (Pays-Bas), porté par un groupe d’institutions financières de développement et de sociétés d’investissement spécialisés dans la microfinance. Depuis, par le biais de contrats à terme et de swaps de devises, nous avons couvert plus de 3500 transactions dans le monde et affichons aujourd’hui une exposition globale supérieure à 5 milliards de dollars.
Les monnaies exotiques, un risque réel de dépréciation. Ci-dessous, perte de valeur en % par rapport au dollar, au pic de la crise du Covid
Ressources Magazine : Sur ce volume global, quelle est votre exposition africaine ?
Isabelle Lessedjina : Pour l’ensemble du continent, cela représente un peu moins d’un milliard de dollars, soit environ un cinquième de nos engagements totaux. Nous couvrons la quasi-totalité des devises du continent et bénéficions en premier lieu aux secteurs de la microfinance, de l’énergie et du logement. Autant de segments d’activité qui génèrent leurs revenus en monnaie locale et pour lesquels nous levons à chaque fois la charge du risque de change. Il est par ailleurs important de noter qu’aucune concurrence n’est faite aux établissements financiers locaux, notre mandat étant de traiter les devises et échéances pour lesquels les banques et marchés de capitaux domestiques ne proposent pas de couverture.
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Ressources Magazine : Si TCX prend à sa charge le risque de change des tiers, cela signifie qu’il est en définitive supporté par vous-mêmes. Comment faites-vous pour gérer celui-ci ?
Isabelle Lessedjina : Au vu de notre exposition globale (Asie, Europe de l’Est, Afrique et Amérique) et du large éventail des produits de couverture que nous offrons, nous fonctionnons sur un modèle où la diversification est, de facto, intégrée dans notre portefeuille. En cela, cette acceptation du risque fait de nous des assureurs plus qu’un fonds alternatif classique (du type « hedge fund ») : notre rôle est de payer les sinistres qui surviennent ponctuellement. La crise du Covid, arrivée en début d’année, en est une parfaite illustration. « Nous sommes similaires à une compagnie d’assurance : c’est quand une maison prend feu que la décision d’avoir pris une assurance devient payante. En mars, la maison a pris feu et nous avons payé », se plaît à résumer notre PDG, Ruurd Brouwer. Au final, nous avons absorbé plus de 130 millions de dollars de pertes sur l’ensemble de notre portefeuille mais ce faisant, nous avons protégé d’autant nos bénéficiaires et leurs clients. Notre vocation de couverture contre le risque de change s’en est donc trouvée renforcée.
Ressources Magazine : Au vu de l’impact du Covid sur vos résultats, quelle a été la réaction de vos actionnaires et investisseurs ?
Isabelle Lessedjina : Ils ont continué à nous soutenir, en souscrivant notamment à une nouvelle levée de fonds de 200 millions de dollars, bouclée en novembre. Combiné à notre précédente augmentation de capital de 2019, ce nouvel apport financier nous permettra d’augmenter de 65 % la capacité de gestion des risques de TCX. C’est bien là la preuve indubitable de l’engagement de nos partenaires (la Commission européenne, la banque de développement allemande KfW, la Société financière internationale, Proparco…) à protéger leurs emprunteurs- notamment africains-contre le risque de change associé aux prêts internationaux.
Ressources Magazine : Quelles sont vos ambitions pour l’Afrique et les défis qu’ils vous restent à relever ?
Isabelle Lessedjina : Avec le renforcement récent de notre bilan,nous visons un doublement des transactions africaines au cours des cinq prochaines années. Quant aux régions visées, nous axons en particulier nos efforts sur 4 pays que sont le Ghana, le Kenya, l’Ouganda et le Rwanda ainsi que sur la zone CFA, des États ou espaces communautaires que nous considérons comme stratégiques et qui pourraient bénéficier directement de certaines de nos initiatives : nous sommes par exemple aujourd’hui en mesure de nous décharger en partie de notre risque de change en aidant nos actionnaires (les IFD) à émettre sur les marchés internationaux des obligations en monnaies exotiques , des produits à haut rendement prisés par certains investisseurs avertis. On allège ainsi notre exposition, ce qui nous permet de proposer de nouvelles couvertures de change à nos clients. Ce sera néanmoins une démarche de longue haleine et à l’aune des immenses besoins du continent, l’un des principaux défis à relever au quotidien reste la nécessité de tisser une relation de confiance pérenne avec les acteurs financiers locaux.