Marie-Chantal Kaninda, directrice exécutive du Conseil mondial du diamant : « Le commerce du diamant rapporte annuellement à l’Afrique 7,6 milliards de dollars de recettes directes »
Passée par les plus grands groupes miniers internationaux (Ashanti Goldfields, AngloGold Ashanti, De Beers, Rio Tinto…), la Congolaise (RDC) Marie-Chantal Kaninda est depuis mars 2017 la directrice exécutive du Conseil mondial du diamant. Une institution clé qui représente les intérêts de la filière, notamment dans le cadre du Processus de Kimberley. Figurant parmi les rares femmes à occuper un poste à responsabilités dans un secteur majoritairement masculin, la dirigeante, que Ressources a rencontrée, explique en détail sa mission ainsi que les nombreux enjeux auxquels le CMD est confronté.
Ressources : Quel est le rôle du Conseil mondial du diamant (CMD) ?
Marie-Chantal Kaninda : Nous représentons l’industrie du diamant dans son ensemble, de la production à la joaillerie. Mais plus encore, notre mission est inséparable du processus de Kimberley (voir encart ci-dessous, NDLR), mis en place au début des années 2000 pour empêcher le négoce des diamants issus de zones de conflit (notamment en Afrique : Sierra Leone, Liberia, Angola), et dans lequel nous sommes le porte-voix des acteurs de la filière. C’est grâce au processus de Kimberley (PK) et à son système de certification (SCPK), que nous avons co-créé avec l’ONU, que nous sommes aujourd’hui en mesure de garantir la provenance « autorisée » des diamants bruts exportés.
R. : Comment se porte le secteur du diamant en Afrique ?
M-C. K. : Le commerce du diamant rapporte à l’Afrique 7,6 milliards de dollars par an en recettes directes, mais les enjeux sont néanmoins très différents d’un pays à l’autre. Pour résumer, on pourrait diviser le continent en trois catégories. La première est constituée du Botswana et de la Namibie, qui ont uniquement une production industrielle. Ces deux pays se distinguent par des standards de production élevés, une bonne réputation et un réel développement inclusif. Au Botswana notamment, l’industrie du diamant est le second plus grand employeur national et les revenus associés ont permis d’investir massivement dans les infrastructures, les services publics (écoles, routes, centres de santé…), l’éducation et la formation professionnelle. À titre d’exemple, lorsque les diamants ont été découverts en 1966, il n’y avait que trois établissements secondaires dans tout le pays. Aujourd’hui, grâce aux revenus issus de l’exploitation diamantifère, on compte près de 300 écoles, et l’enseignement primaire est gratuit. Enfin, ce secteur a aussi largement contribué à réduire la proportion de personnes atteintes du VIH. La seconde catégorie englobe l’Afrique du Sud, le Lesotho et l’Angola, caractérisés par une production à majorité industrielle, avec néanmoins une petite production artisanale qu’ils essayent de supprimer à travers des programmes de formalisation. Enfin, la troisième et dernière catégorie est constituée de pays ayant une production essentiellement artisanale : RDC, République centrafricaine, République du Congo, Cameroun, Sierra Leone, Liberia, Côte d’Ivoire et Zimbabwe. Ces pays-là font face à des problèmes importants liés à l’implantation d’un système de formalisation de l’artisanat minier.
R. : Quels sont les principaux défis à relever à l’échelle du continent ?
M-C. K. : La majorité des mineurs africains restent des artisans miniers, qui travaillent dans des conditions difficiles et gagnent en moyenne moins de deux dollars par jour. Or, les pays membres du PK ne semblent pas toujours comprendre la nécessité de faire des efforts en la matière. C’est pourtant crucial dans la mesure où, de plus en plus, l’acheteur intègre dans ses exigences d’approvisionnement non seulement la traçabilité, mais aussi les conditions de travail dans les pays d’origine… Enfin, de par son usage (joaillerie principalement), le diamant est considéré sur les marchés consommateurs comme un produit de luxe, sans lequel les gens peuvent vivre, d’autant qu’il existe de plus en plus d’alternatives (diamants synthétiques, NDLR). Une dimension « non essentielle » que doivent intégrer les pays producteurs, pour qui le diamant est a contrario souvent une source de revenus et un facteur de développement fondamental.
R. : En termes de bilan, quelle a été jusqu’ici la plus importante réalisation du Conseil mondial du diamant ?
M-C. K. : Après 16 ans d’existence du PK, le CMD ne peut que se réjouir de la suppression presque totale des diamants de conflits. C’est incontestablement une avancée majeure. Le seul pays encore concerné par ce type de pierres est la République centrafricaine (RCA), dans sa partie nord. Et même là, tout est fait pour circonscrire le problème. Ainsi, afin d’éviter la contamination de la chaîne des diamants bruts en provenance de la RCA et des pays voisins, le CMD, en étroite collaboration avec le gouvernement centrafricain, a mis en place un processus bien établi permettant de dissocier les diamants issus des « zones vertes » – et donc autorisés à l’exportation – des diamants venant des « zones rouges », c’est-à-dire impactées par les diamants de conflits. Le CMD a également publié son nouveau système de garantie, qui permet d’étendre la traçabilité des diamants au-delà des diamants bruts, tel que repris dans le Processus de Kimberley. Autant d’actes posés pour pérenniser une filière responsable, capable de fournir des opportunités économiques durables aux communautés locales.
R. : Parlons d’avenir. Quelles sont aujourd’hui vos priorités à la tête du Conseil ?
M-C. K. : Elles reposent sur trois axes. En premier lieu, il nous faut étendre la définition du Processus de Kimberley, c’est la seule façon d’aller plus loin dans les efforts déjà déployés et de mieux protéger les populations des pays producteurs concernés. Ensuite, il est nécessaire d’établir un secrétariat permanent, afin de parvenir à un meilleur fonctionnement institutionnel et plus de professionnalisme dans le suivi des recommandations. Enfin, nous gagnerions à renforcer les mécanismes des revues par les pairs ; cela permettrait une meilleure application des requis minimaux et pousserait à sanctionner davantage les pays qui ne respectent pas les recommandations. Pour le CMD, ces trois points sont les clés à venir de l’affermissement du Processus de Kimberley.