Gabon - une filière cacao en quête d’un nouveau souffle
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Pas étonnant, dans ces conditions, que nombre d’opérateurs privés cherchent à se positionner pour profiter de cette conjoncture favorable. Datée de fin novembre 2018, une note interne du Bureau de coordination du plan stratégique Gabon émergent (BCPSGE), dont Ressources s’est procuré copie, fait état du « Cacao-T Projet », une initiative de 20 millions de dollars pilotée par le fonds d’investissement alternatif 55 Africa Fund et qui prévoit la plantation et l’exploitation intensive de 1 000 hectares de cacao dans la région Woleu-Ntem, berceau historique de la production cacaoyère au Gabon. À ce niveau d’engagement financier, la méthode d’exploitation est clairement stipulée avec une « production intensive, professionnelle et à l’échelle industrielle ».
Opportuniste, Nestlé, dans le rapport précité, ne manque pas de rappeler pour sa part qu’il
« dispose d’une bonne expérience de relance de ces spéculations agricoles, capitalisée à travers le déploiement de plusieurs plans sur le secteur à travers le monde (Nestlé Cocoa Plan et Nescafé Plan) ». Une manière comme une autre de poser ses pions.
Transformation
Pour être couronnée de succès, la relance de la filière ne devra cependant pas se limiter à augmenter la récolte actuelle de fèves. Pour le cacao comme pour nombre d’autres matières premières, le véritable enjeu se situe ailleurs : produit au Sud, il est le plus souvent transformé (et consommé) au Nord. Or, « sans transformation, pas de valeur », résume Théophile Mutoni, un analyste de la firme d’investissement African Alliance à Kigali, qui rappelle par ailleurs que « […] remonter la chaîne de valeur permet de moins subir la volatilité des prix de la matière brute (historiquement forte sur le cacao, voir graphique ci-dessous)».
Le Cocoa Barometer, étude sectorielle annuelle financée par un consortium d’ONG (Oxfam, Südwind Institut, Public Eye…), souligne quant à lui que les producteurs de cacao ne percevraient en moyenne que 6,6 % des revenus générés sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Des miettes.
Face au partage inégal de ce gâteau (au chocolat), une seule solution : transformer davantage localement afin d’accroître au maximum la valeur ajoutée produite sur place. Pour se concrétiser, ce surplus de transformation du cacao devra notamment s’appuyer sur une hausse de la consommation locale dans les habitudes alimentaires des Gabonais. « Une démarche de longue haleine, fondée en premier lieu sur un travail de communication et loin d’être gagnée », concède Emmanuel Mba.
Impulser le changement
Certes, il existe déjà un certain nombre d’initiatives privées, destinées à valoriser au mieux la production locale de cacao (voir notre article sur les Chocolats gabonais de Julie, dans le dossier Valorisation). Cependant, rares et peu significatives en termes d’activité, celles-ci relèvent encore trop souvent de l’anecdotique. Le Gabon aurait pourtant beaucoup à gagner s’il parvenait à impulser une dynamique forte en la matière. Car en définitive, plus de transformation, c’est plus d’activités pourvoyeuses d’emplois dans un pays qui en a bien besoin : plus de 20 % de la population active est au chômage et près d’un quart des Gabonais continue à vivre avec moins de 3 dollars par jour.
À la croisée des chemins, le Gabon se voit donc « condamné » à réussir le pari de la diversification s’il veut renouveler en profondeur son modèle économique suranné. Le défi de toute une génération assurément, mais les graines du changement ont d’ores et déjà été plantées. Optimistes, les équipes d’African Alliance veulent pour leur part croire que « la transition du pays d’un modèle rentier à un modèle plus productif est désormais lancée ». Reste maintenant à espérer que la filière cacao gabonaise en bénéficiera.