Fanta Bernath de
Font-Réaulx :
« L’avenir de la filière cacao en Afrique, c’est plus de transformation locale au service de plus de consommation locale »
Primordiaux pour l’économie mondiale, les marchés des matières premières fascinent. Et pour cause : leur importance n’a d’égale que l’opacité qui entoure les grands acteurs de cet univers d’initiés. La filière cacao ne fait pas exception. Spécialiste reconnue de ce segment après avoir été longtemps elle-même active dans le négoce international des matières premières, Fanta Bernath de Font-Réaulx décrypte pour Ressources les subtilités de ce marché ainsi que les défis à relever pour les pays producteurs du continent. Entretien.
Ressources : Nombre d’études récentes pronostiquent une hausse des prix du cacao sur le long terme, en raison notamment d’une demande accrue en provenance des pays asiatiques. Partagez-vous cet avis ?
Fanta Bernath de Font-Réaulx : Je serais plus nuancée sur ce sujet. Il convient d’abord de rappeler que parmi les multiples utilisations possibles du cacao, c’est la demande de chocolat qui influence le plus le prix de cette commodité. Sur ce point, il y a incontestablement plus de demande pour le chocolat à l’échelle mondiale, notamment en provenance des nouveaux émergents asiatiques, qui voient les goûts de leurs consommateurs évoluer. Mais la demande ne saurait à elle seule expliquer la tendance à long terme des prix du cacao. Les facteurs constitutifs de l’offre doivent également être intégrés dans la grille de lecture : conditions climatiques, qualité des sols, efficacité des incitations publiques, risque géopolitique… Autant d’éléments qui détermineront au final la relative abondance - ou rareté - de l’offre à un moment donné et qui sont, par définition, toujours aléatoires. Enfin, une ultime variable doit être prise en compte pour expliquer la volatilité des cours : la spéculation financière. Celle-ci est constitutive des marchés à terme des matières premières et, dans un contexte de baisse tendancielle des marges sur l’activité traditionnelle des négociants - le courtage de matières premières agricoles -, certains traders (affiliés ou non à la supply chain concernée) peuvent être tentés de prendre des positions « papier » spéculatives (achat/vente de contrats à terme) pour gagner un peu plus.
R. : Tous les acteurs de la chaîne de valeur ne semblent cependant pas tirer les mêmes bénéfices de leur activité, à commencer par les producteurs de cacao. Pour inverser cette tendance, certains pays africains cherchent à s’organiser. Que pensez-vous par exemple des récents efforts conjoints de la Côte d’Ivoire et du Ghana(1) pour améliorer les prix payés aux planteurs ?
F. B. : Cette initiative va dans le bon sens, mais il faut, là encore, fournir une réponse circonstanciée. Plus que d’une amélioration des prix, il serait préférable de parler d’un rapprochement des prix entre un cacao ivoirien, moins bien payé, et un produit ghanéen, mieux rémunéré. Mais la vraie question est ailleurs : pourquoi y a-t-il plus fondamentalement un différentiel de prix offert aux producteurs, de part et d’autre de la frontière ? Les deux pays disposent certes de mécanismes différents(2) d’achat du cacao, mais l’écart de prix tient fondamentalement à un facteur-clé : la qualité de la marchandise. La Côte d’Ivoire a beau être le numéro 1 mondial en termes de quantités de fèves produites, d’autres pays font bien mieux en matière de qualité. À commencer par le Ghana, dont la qualité du cacao est plus constante que chez le voisin ivoirien. Dans ces conditions, il est normal que les planteurs ghanéens obtiennent une sorte de « prime » au mérite. Sur ce point, nul doute que la Côte d’Ivoire aurait beaucoup à gagner de l’expérience ghanéenne. Certaines mesures ivoiriennes récentes, prises pour mieux surveiller la qualité à l’export du cacao, commencent du reste à porter leurs fruits.
1- Les deux pays, qui sont les deux premiers producteurs mondiaux de cacao, sont parvenus en juin 2018 à un accord de principe pour élaborer une stratégie commune de vente des fèves.
2- Le cacao ghanéen est acheté directement au planteur par le Ghana Cocoa Board qui se charge ensuite de le revendre aux exportateurs. En Côte d’Ivoire, le Conseil Café Cacao fixe un prix minimum, mais la fève est achetée directement par les négociants au planteur.