Hilaire Kouakou : « Avec les plantes médicinales, l’Afrique a le potentiel de développer une activité utile, créatrice de richesse et d’emplois »
Enjeu : montrer comment le patrimoine naturel africain peut jouer un rôle dans le secteur du bien-être et de la santé et, partant, constituer un remarquable générateur d’emplois et de richesse
La connaissance des vertus médicinales des plantes fait partie du patrimoine culturel africain. Selon les estimations, au moins 50 % des médicaments prescrits aujourd’hui sont d’origine végétale. Presque tous les agents actifs qui les composent ont été découverts grâce à des observations ethnobotaniques et ont déjà fait preuve de leur efficacité dans la médecine conventionnelle. Cependant, les connaissances relatives à ces plantes sont aujourd’hui en déclin. Or, comme l’actualité récente le prouve, il s’avère plus que jamais nécessaire de recenser ces espèces médicinales et d’examiner leur activité biologique dans la recherche de nouvelles substances. C’est dans le but de valoriser ce patrimoine et de fédérer les compétences autour de la recherche et de la sensibilisation aux vertus des plantes que l’on a créé le centre ethnobotanique Tatufarma, en Côte d’Ivoire. Entretien.
Ressources Magazine : Pouvez-vous nous présenter le projet Tatufarma ?
Hilaire Kouakou : Tatufarma est un projet intégré de développement du bien-être par les plantes conduit par un groupe d’entrepreneurs africains que je représente. Il consiste à développer des initiatives de santé par les plantes médicinales, principalement d’Afrique, mais aussi d’ailleurs. Ce projet comporte plusieurs dimensions : sociale, environnementale, scientifique et éducative. Sociale dans la mesure où Tatufarma se veut pourvoyeur d’emplois et de compétences en Afrique ; environnementale parce que son cœur consistera en un gigantesque jardin botanique de plantes médicinales s’étendant sur un périmètre de 300 hectares à N’Ngattadolikro (préfecture de Tiébissou), divisé en 6 zones distinctes représentant les 5 continents (selon le modèle employé par l’ONU : Afrique, Europe, Asie, Océanie, Amérique du Nord, Amérique centrale et du Sud) ; scientifique, car cet espace intègrera un centre de recherches sur les plantes, leurs principes actifs, leurs propriétés thérapeutiques, etc. ; et enfin éducative, puisque nous allons développer des partenariats avec des universités africaines et internationales, mais aussi avec les écoles ivoiriennes pour des circuits touristiques et de visite permettant de sensibiliser les enfants aux vertus des plantes.
R. M. : Quand ce projet a-t-il vu le jour et à quel stade de son développement en êtes-vous aujourd’hui ?
Hilaire Kouakou : Le projet Tatufarma a été initié il y a un an et demi. La première étape – nécessaire pour assurer sa pérennité, était celle de la sécurisation foncière, qui est aujourd’hui parachevée. Actuellement, nous travaillons avec des paysagistes (agencement de l’espace) et des architectes (construction du centre), et nous avons lancé plusieurs pépinières expérimentales pour certaines plantes médicinales, dont l’artemisia et la centella, quelques agrumes (citron, pamplemousse…), des eucalyptus, des palmiers et des cocotiers. Concernant le volet éducatif, nous avons prévu de mettre sur pied la plus grande bibliothèque du monde dédiée à la santé par les plantes. Celle-ci ne comprendra pas que des ouvrages scientifiques, mais couvrira le spectre le plus large possible, incluant tous les ouvrages liés de près ou de loin au monde végétal. Tatufarma étant un projet basé sur le modèle collaboratif, nous allons faire appel à toutes les personnes de bonne volonté qui s’intéressent à cette thématique et souhaitent apporter leur contribution d’une façon ou d’une autre, de sorte que notre centre devienne un dépositaire de référence en termes de documentation sur les plantes. Ce que nous nous efforçons de bâtir, c’est une plateforme accessible à tous les chercheurs qui souhaitent venir étudier les plantes, et que le grand public pourra également venir visiter. Notre premier cercle de chercheurs est celui des partenaires académiques, à travers des alliances nouées avec les différents départements de botanique et biologie d’universités à travers le monde. Avec la possibilité d’effectuer des résidences sur place, ils pourront mener chez nous des expériences en termes de dosage, de posologie, etc. C’est une valeur ajoutée que l’on souhaite mettre en avant, avec le fait que notre jardin botanique permettra de faire l’économie de voyages à travers le monde pour aller voir telle ou telle plante en Amazonie ou au Maroc. Pour l’heure, notre équipe est constituée d’un paysagiste, de deux architectes, de spécialistes dévolus à l’hydrogéologie, d’un chef de projet, d’ouvriers et de promoteur. Nous sommes également en discussions avec plusieurs partenaires financiers et fonds d’investissement qui croient en notre projet.
R. M. : Qu’est-ce qui a motivé votre décision d’entreprendre dans ce secteur ?
Hilaire Kouakou : Sur le plan personnel, je viens d’une famille qui a toujours baigné dans l’environnement des plantes et des fleurs.En termes d’opportunités d’affaires et avec le boom que l’on observe ces dernières années dans les secteurs de la santé et du bien-être, je suis persuadé que c’est un vecteur de création de richesses amené à prendre beaucoup d’importance. Pour moi, la valorisation des plantes médicinales représente un réel atout pour le développement et l’attractivité du continent et du pays, et a le potentiel de faire de la Côte d’Ivoire et de ses centres un véritable foyer de soft power en matière de bien-être.
R. M. : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans la mise en œuvre de ce projet ?
Hilaire Kouakou : La première était la sécurisation foncière, à la base de la réussite de Tatufarma. Il s’agissait de mettre en œuvre toutes les démarches administratives nécessaires afin d’éviter toute interprétation susceptible de générer des amalgames fâcheux. Autre frein dans la mise en œuvre du projet, la règlementation phytosanitaire régissant l’échange de graines : il faut en effet s’assurer que l’on n’introduit pas dans le pays des plantes qui pourraient dérégler l’écosystème. Nous travaillons pour obtenir les autorisations nécessaires et procédons au coup par coup, en nous concentrant d’abord sur l’essentiel.
R. M. : Quel est votre sentiment sur l’actualité récente et les solidarités Sud-Sud nouées autour du Covid-Organics, médicament à base d’artemisia produit par Madagascar et mis sur le marché par son président ?
Hilaire Kouakou : Je suis un fervent partisan de l’artemisia, et Tatufarma compte d’ailleurs une pépinière d’artemisia, qui fait partie des premières plantations expérimentales que nous ayons déployées. J’en consomme moi-même, et j’ai la ferme conviction que c’est une plante qui a des vertus en termes de santé, mais je pense qu’il faut pousser un peu plus loin la recherche scientifique et c’est une bonne chose que les pays occidentaux manifestent des intérêts médicaux sur le sujet.