Michel Arrion, directeur exécutif de l’Organisation internationale du cacao (ICCO) : « Augmenter le revenu des petits producteurs demeure une priorité »
Suite de l’interview
R. : Justement en parlant de la Côte d’Ivoire, après 44 ans d’existence, le siège de l’ICCO a été transféré de Londres vers Abidjan. Qu’est-ce qui justifie cette relocalisation et quel est son impact sur la filière cacao ?
M. A. : Toutes les organisations reposent sur un équilibre entre les pays producteurs et consommateurs. Les pays producteurs ont souhaité récupérer les sièges de quelques structures qui, auparavant, étaient tous basés à Londres, étant donné que le grand trading des matières premières s’effectue historiquement dans la capitale anglaise. Il fallait donc un rééquilibrage entre pays producteurs et consommateurs. Aujourd’hui, Londres n’est plus le centre névralgique du commerce international, même si la City joue encore un rôle très important. On a par exemple installé l’Organisation internationale du jute (International Jute Study Group) au Bangladesh, celle des bois tropicaux (International Tropical Timber Organization) à Yokohama au Japon, celle du caoutchouc (Organisation internationale du caoutchouc naturel) à Kuala Lumpur en Malaisie, etc. L’Afrique totalise à elle seule près de 80 % de la production mondiale de cacao et 50 % des fèves récoltées sur le continent proviennent de Côte d’Ivoire. Il était donc logique d’y relocaliser le siège de l’ICCO. Par ailleurs, il est également plus simple quand on se trouve au Ghana, au Togo, au Cameroun ou au Nigeria, de se rendre à Abidjan qu’à Londres.
R. : Quels sont les besoins (humains, financiers, en ressources, en formation, etc.) exprimés dans le secteur du cacao en Afrique ?
M. A. : Beaucoup de besoins concernent les intrants agricoles, un matériel végétal de qualité, la formation et l’encadrement, l’accès au crédit, la réhabilitation ou la création d’infrastructures économiques dédiées (pistes, énergie, marchés, entrepôts…). Idéalement, il faudrait produire plus de cacao sur moins de surface et pour cela, booster la productivité des parcelles avec de meilleurs intrants agricoles, un meilleur matériel végétal, de meilleurs arbres, de meilleures pépinières, opérer des greffes, produire des engrais, lutter contre les insectes ravageurs et les maladies, adopter des techniques de culture plus modernes et plus mécanisées… Pour l’essentiel, ces besoins concernent donc la modernisation et l’augmentation de la productivité. Il faut également prodiguer des conseils aux planteurs, dans le cadre notamment de programmes d’encadrement et de vulgarisation agricole. Il faudrait par ailleurs s’attacher à donner aux femmes l’occasion de contribuer à l’augmentation de la productivité. Pour ce faire, elles doivent elles aussi être formées, et avoir accès au microcrédit.
R. : L’Union africaine tend vers une zone de libre-échange continentale. Quel impact l’effectivité de cette zone pourrait-elle avoir sur la filière du cacao ?
M. A. : Potentiellement un grand impact, surtout si la consommation venait à augmenter en Afrique. L’accès aux marchés est essentiel. Dans cette optique, une zone de libre-échange continentale est vraiment ce qu’il faut au continent pour réduire les freins au commerce, tant pour le cacao que pour les autres produits agricoles. C’est une immense opportunité en termes de consommation locale.
R. : À ce propos, quid de la pertinence du rapprochement entre le Ghana et la Cote d’Ivoire ? Sachant que ce type d’opération a déjà été tenté à plusieurs reprises par le passé, à quelles conditions cette union pourrait-elle être viable ?
Il est évident que les producteurs devraient mieux s’organiser entre eux et aligner leurs politiques. À eux deux, la Côte d’Ivoire et le Ghana représentent 62 % de la production mondiale, quand le Cameroun et le Nigeria totalisent ensemble 15 % de la production globale de cacao. Plus des trois quarts de la production mondiale de cacao sont générés par quatre pays africains. S’ils échangeaient plus entre eux et harmonisaient leurs politiques et leurs prix, ils pourraient peser davantage sur le marché international. Au plus haut niveau, les autorités ivoiriennes et ghanéennes entretiennent déjà un dialogue qui porte ses fruits : les prix de la dernière campagne ont été harmonisés et les systèmes de commercialisation tendent à se rapprocher. Néanmoins, ces deux poids lourds du cacao seraient plus forts s’ils invitaient d’autres pays à se joindre à eux, et je ne parle pas seulement de pays africains : en intégrant l’Indonésie, l’Équateur ou d’autres producteurs non africains à leur démarche, ils pourraient faire porter leur voix encore plus loin. À cet effet, rien n’empêche les pays producteurs d’organiser des concertations entre eux en marge de l’ICCO.
R. : Quelles mesures les pays producteurs de cacao en Afrique pourraient-ils prendre afin de mieux tirer parti de leurs productions ?
M. A. : Améliorer l’environnement des affaires pour attirer les investissements, transformer localement, tirer les leçons des échecs et réussites des autres pays producteurs en Asie et en Amérique latine, envisager la filière cacao dans le cadre d’un développement rural global, favoriser la diversification agricole… Les pays d’Afrique doivent être conscients qu’ils sont en concurrence avec les pays d’Asie et d’Amérique latine. Par exemple, un investisseur peut choisir de s’engager plutôt au Ghana, en Équateur ou en Indonésie, en fonction notamment de la stabilité, du climat des affaires, des conditions favorables d’investissement ou du système de gouvernance qu’il rencontrera dans ces pays. Donc, en termes de production, les producteurs africains ne sont pas en concurrence avec l’Europe ou les USA, mais avec les autres pays producteurs comme l’Indonésie ou l’Équateur, grands pourvoyeurs en cacao des zones Asie et Amérique latine.
R. : Quels sont vos projets à la tête de l’ICCO ?
M. A. : Mettre en place un plan stratégique d’action se concentrant sur un meilleur prix aux producteurs, un meilleur revenu, une meilleure répartition de la valeur ajoutée tout le long de la chaîne d’approvisionnement, plus de transformation et de consommation locale, un meilleur dialogue aux trois niveaux précédemment cités, de meilleures statistiques et une meilleure communication dans les médias sociaux.
Michel Arrion en bref
Juriste spécialisé en droit international et en droit économique européen, Michel Arrion est diplômé des universités de Liège et d’Amsterdam. Après ses études, il a été recruté comme conseiller juridique par une grande entreprise belge opérant dans le secteur des produits laitiers, particulièrement la transformation du lait en beurre et matière grasse butyrique (poudre de lait). Une expérience professionnelle qui l’a amené à se spécialiser dans le droit alimentaire et le droit de la politique agricole commune européenne. À l’issue de la procédure de sélection par concours de l’UE, il a intégré la Commission européenne pour travailler à la direction générale de la coopération internationale et du développement (DG DEVCO), gérant l’achat et la logistique des denrées alimentaires destinées aux dons. Il a ensuite été muté en Afrique, à la délégation de l’UE à Bamako (Mali), où il a passé cinq ans à s’occuper de réformes agricoles. Après son expérience malienne, Michel Arrion est rentré à Bruxelles et y a assuré la gestion des comités de financement de l’UE, toujours dans le cadre de la coopération internationale et du développement. Il a ensuite été nommé assistant politique du directeur général de la DG DEVCO, avant de devenir chef de service à l’Office humanitaire de la Communauté européenne (ECHO), où il avait en charge la programmation de l’aide humanitaire et des relations institutionnelles avec les Nations unies, les ONG, etc. En 2005, Michel Arrion a été nommé ambassadeur de l’UE en Côte d’Ivoire et au Liberia. Il a occupé le même poste au Rwanda en 2010 puis au Nigeria en 2013. De retour à Bruxelles après son périple africain, il a découvert l’appel à candidatures pour le poste de directeur exécutif de l’Organisation internationale du Cacao et y a postulé. À l’issue d’une procédure de sélection et de recrutement ayant duré un an, il a été nommé par « consensus » en qualité de directeur exécutif de l’ICCO le 28 septembre 2018. Ayant pris sa retraite anticipée à l’UE, il occupe ses nouvelles fonctions depuis le 1er janvier à Abidjan, où les locaux du siège de l’organisation ont été officiellement inaugurés le 25 avril 2017.