Victoria Wahu, cheffe de projet à la Kenya Gem & Jewellery Fair : « L’Afrique est la principale source de pierres précieuses du monde »
Longtemps dominée par quelques pays latino-américains (Colombie, Brésil) et asiatiques (Myanmar, Sri Lanka), la filière gemmifère a vu de nouveaux acteurs africains émerger récemment. Principalement localisés en Afrique de l’Est, ces espaces d’extraction de pierres précieuses ont désormais un événement qui leur est spécifiquement dédié, la Kenya Gem & Jewellery Fair (KGJF). En exclusivité pour Ressources, Victoria Wahu, cheffe de projet au sein de l’« Association of Women in the Extractives Industry in Kenya » (AWEIK) – structure organisatrice de la KGJF –, explique les enjeux de la troisième édition, qui se tiendra les 11 et 12 juillet à Nairobi.
Propos recueillis par Patrick Ndungidi
Ressources : En quoi consiste la « Kenya Gem & Jewellery Fair » ?
Victoria Wahu : La KGJF est un événement annuel organisé par l’Association des femmes dans l’industrie extractive au Kenya, en collaboration avec le ministère kenyan du Pétrole et des Mines. Il s’agit de la première manifestation africaine du genre dans le secteur des pierres précieuses et de la bijouterie, la KGJF réunissant des acteurs de l’industrie en provenance du monde entier. La plupart des participants sont des négociants en gemmes, des bijoutiers, des mineurs artisanaux, des banquiers ainsi que des institutions de financement et d’investissement. Un éventail large de conférenciers qui explique que la KGJF joue un rôle déterminant dans le rayonnement du Kenya, non seulement en tant que plaque tournante du commerce des gemmes, mais également comme vitrine promotionnelle des pierres précieuses, fines et organiques d’Afrique.
R. : Quel regard portez-vous sur le secteur des pierres précieuses en Afrique ?
V. W. : La filière, stimulée par une demande globale en hausse, a connu une croissance rapide au cours des dernières années, et le continent est aujourd’hui la principale source de pierres précieuses du monde. Le secteur doit néanmoins relever plusieurs défis. Au niveau des mines artisanales, la faible productivité limite de facto l’offre alors même que le potentiel d’extraction de minerais est considérable. Autre frein : des règlementations inadaptées, qui ont entravé un certain nombre de grands investissements en Afrique. En pointe sur ce sujet, le Kenya a toutefois consenti d’importants efforts en vue d’améliorer la situation. La nouvelle loi minière, signée le 6 mai 2016 par le Président Uhuru Kenyatta (en remplacement de l’ancienne législation, en vigueur depuis… 1940, NDLR), a ainsi permis plusieurs changements positifs (lire l’encart ci-dessous). Appliquées à une plus grande échelle, nul doute que ce type de mesures et dispositions pourrait booster sensiblement le secteur et, par ricochet, stimuler la croissance du continent.
R. : Selon le Natural Resource Governance Institute, le marché mondial des gemmes brutes (diamants inclus) est estimé entre 17 et 23 milliards de dollars par an. Mais les petites exploitations minières, pourtant majoritaires en Afrique, ne bénéficient que très peu des retombées de ce marché. Comment améliorer les choses ?
V. W. : Outre la mise en place de lois et règlementations appropriées, déjà évoquée, le renforcement des capacités et l’amélioration de l’accès aux financements pourraient sensiblement changer la donne pour les mineurs concernés. C’est ce vide que notre association, en partenariat avec le ministère kenyan du Pétrole et des Mines, tente de combler. Nous espérons que grâce à la KGJF, le marché des pierres précieuses au Kenya progressera significativement, dans la mesure où cette manifestation permettra d’offrir un débouché aux mineurs artisanaux qui pourront ainsi directement exposer et vendre leur production à des acheteurs potentiels. Notre événement vise également à fournir une plate-forme de mise en relation aux différents acteurs du secteur. À titre d’exemple, le ministère du Pétrole et des Mines a déjà parrainé plusieurs petits exploitants originaires de régions reculées du pays afin que ceux-ci puissent se rendre à la KGJF, et trouver ainsi un marché pour leurs pierres précieuses.
R. : Quelle est la place du Kenya dans cette industrie africaine des pierres précieuses ?
V. W. : Situé le long de la ceinture du Mozambique, riche en ressources minérales, le Kenya est l’un des pays qui dispose de la plus grande variété de pierres précieuses et fines : Rubis, Saphir, Tsavorite, Tourmaline, Grenat, Aigue-marine, Améthyste…. Son potentiel est donc considérable. Mais, à l’image de qui est observé ailleurs sur le continent, la filière kenyane des gemmes est d’abord dominée par des mineurs artisanaux, aux faibles moyens. En autorisant l’exploitation à petite échelle, la nouvelle loi minière 2016 a donné un cadre légal à tous ces opérateurs, notamment dans les régions reculées où sont extraites nombre des pierres précieuses et fines du pays. Les pouvoirs publics ont par ailleurs mis en place un régime de licence distinct pour les exploitations minières à petite et grande échelle (voir notre encadré). À noter enfin que cette formalisation de la filière ne touche pas que les exploitants miniers : les négociants en pierres précieuses doivent eux aussi détenir une licence désormais.